Un article écrit pour la revue "Globe-trotters" (novembre-décembre 2012)
"L'île de Cheung Chau dans la baie de Hong Kong : un paradis perdu."
Loin du vacarme de la trépidante Hong Kong, l'île de Cheung Chau recèle des paysages de toute beauté. Entre calme et authenticité, une gourmandise qui se visite à pied.
Il est tôt ce jeudi 4 mars 2010. La baie de Hong Kong est plongée dans la brume matinale, tout est étrangement calme autour de moi. Le bateau sur lequel je suis confortablement installée, largue les amarres du quai n°5 de l'Outlying Islands Ferry Pier à Central.
Il n'y a pas grand monde sur ce ferry : quelques femmes, d'énormes d'emplettes sur les genoux, ouvrent leurs barquettes de nouilles et "petit-déjeunent" en bavardant gaiement.
Pour ma dernière journée de vagabondage à Hong Kong, et pour 10 $HK (soit 1€ environ), je pars à la découverte de Cheung Chau - "La longue île" en cantonnais - l'une des rares îles habitées des quelques 234 qui parsèment la baie… Le voyage qui dure une heure parce que j'ai choisi un "ferry lent", est agréable. Nous filons vers le sud -ouest, les contours d'autres îles se dessinent au loin parmi les nuages de brume bleuâtre, et toutes sortes de bateaux qui croisent dans la baie … finalement, 12 km plus loin seulement, j'aperçois ce morceau de terre minuscule : le village de Cheung Chau niché au fond de "l'abri des typhons" et son unique jetée où déambulent, nonchalants, quelques habitants qui promènent leur chien.
Quel contraste étonnant et salvateur avec l'atmosphère bouillonnante de Hong Kong !
Ma surprise ne s'arrête pas là : le petit port est adorable, coloré, calme et joyeux. Près du débarcadère, l'on peut louer des bicyclettes ou des tricycles. Le port est plein à craquer de dizaines de jonques et de sampans, ces bateaux chinois motorisés à fond plat qui servent pour la pêche, mais aussi pour l'habitation : on y voit les femmes faire leur lessive ou leur cuisine, tandis que les hommes trient les poissons. Les bâches bleues ou vertes, qui protègent les ponts du soleil ou de la pluie, forment des ondes colorées et mouvantes qui se détachent sur l'horizon où se profilent les sommets de l'île de Lantau, toute proche.
De petits restaurants bordent la jetée : l'on y choisi son poisson dans les aquariums avant de se le faire préparer, ou l'on y savoure tranquillement un thé vert en observant la vie des pêcheurs…
Une jeune femme m'aborde en me voyant examiner les menus, et me dit en anglais - ce qui est exceptionnel sur l'île, mais j'apprendrai qu'elle travaille au petit office du tourisme !- : "non non, allez plutôt chercher des dim sum là bas, venez avec moi!". Je la suis. Effectivement elle va chercher son repas de midi chez le cuisinier du coin qui travaille sur le trottoir. Elle achète deux boîtes vapeur en bambou, et s'en va avec un sourire, en me recommandant de les acheter tout de suite, car à midi il n'y en aura plus … ce que j'ai pu vérifier une heure plus tard!
Pas de problème pour passer la nuit ici : des îliennes vantent, toujours sur le trottoir, leur chambres d'hôtes à prix très bas … qui parait-il, grimpent le week-end. L'on m'a en effet confirmé que de nombreux gwailos (étrangers) venaient profiter des plages le samedi et le dimanche, et qu'il valait donc mieux s'y rendre en semaine pour apprécier pleinement la tranquillité des lieux.
Je vais ensuite à la découverte du village, de ses ruelles étroites où les locaux se déplacent en vélo, zigzaguant entre les étals des échoppes, car il n'y a pas de voiture sur l'île sauf pour les pompiers et le médecin.
On trouve là tout ce qui fait la Chine traditionnelle : légumes, poissons séchés, pâte de crevettes à l'odeur piquante, pâtisseries, pharmacopée chinoise à base d'herbes médicinales et d'hippocampes, boutiques pour ménagères remplies de serpillières et de balais colorés. On y trouve aussi les fameux chapeaux en bambou ou encore de l'encens et du papier monnaie destiné à être brûlé dans les temples pour communiquer avec les dieux ou honorer la mémoire des défunts, ainsi que pour fêter le nouvel an chinois… Le tout se mélange en un incroyable bric à brac, les sacs ouverts débordent sur les pavés des ruelles entre les auvents qui se rejoignent au dessus de ma tête. Un rai de lumière filtre et je peux apercevoir le linge qui sèche sur les petits balcons.
A Cheung Chau les maisons n'ont pas plus de deux étages, à l'exception du seul hôtel de l'île, le massif Warwick, à éviter!
A détour d'une ruelle, légèrement surélevé par rapport au village, je découvre le monument historique le plus célèbre de l'île : le Pak Tai Temple, construit en 1783 en l'honneur du dieu taoïste qui vainquit le roi des démons et ses alliés, la tortue et le serpent, que l'on retrouve à ses pieds, broyés. A l'intérieur, l'on peut voir un sabre retrouvé en mer par des pêcheurs, il y a plus de 100 ans et qui daterait de la dynastie des Song (960-1279). Dans la cour se trouvent quatre paires de dragons de pierre. Pak Tai est le "Dieu Patron" de l'île : le dieu de la mer. C'est de ce temple que part chaque année le défilé coloré du célèbre "Festival des petits pains" , une fête qui dure une semaine et attire des centaines de touristes en avril ou mai selon le calendrier lunaire ( la fête a lieu le 8ème jour de la quatrième lunaison).
Je continue ma promenade à travers les dédales. Malgré le peu d'espace, tout est étonnamment paisible. Les femmes regagnent tranquillement leurs habitations, chargées de lourds paniers, des enfants en uniformes sortent de l'école, achètent un cornet de frites au passage, et enfourchent leur bicyclette.
Au gré des échanges, j'apprends que la population de l'île est aujourd'hui de 25 000 habitants environ, pour une superficie de 2,5 km2 seulement, mais elle est concentrée dans le village et le reste de l'île est pratiquement vierge. La moyenne d'âge est assez élevée, mais on me dit aussi que beaucoup de jeunes ont décidé de s'installer ici car la vie y est moins chère et moins trépidante qu'à Hong Kong. Ils n'hésitent pas à faire quotidiennement le trajet en bateau pour aller travailler "en ville".
Sur une toute petite place, j'aperçois un banian sacré et vénéré : on dit qu'il est habité par les esprits de la terre. A son pied se trouve un autel miniature devant lequel les passants s'arrêtent pour y brûler un bâton d'encens … et puis la ruelle débouche soudain à ma grande surprise, sur une magnifique plage de sable blanc : Tung Wan Beach. Je ne pensais pas en être si près, mais il est vrai que l'île est toute petite et que le village de Cheung Chau est situé au milieu, sur l'isthme qui relie le nord au le sud : il suffit donc de marcher 15 minutes en partant du port, pour se retrouver de l'autre côté, à la plage… Une plage célèbre pour son école de planche à voile qui a permis à Lee Lai San, une îlienne bien sûr, de remporter la médaille d'or aux jeux olympiques d'Atlanta en 1996.en son honneur, une très belle sculpture abstraite lui est dédiée, face à la mer. Des panneaux suggèrent quand même d'être prudent : les requins ne sont pas loin !
A Cheung Chau il y a aussi des chemins côtiers enchanteurs, parmi lesquels le sentier de randonnée Peak Road qui descend jusqu'à la pointe sud-ouest de l'île. Ce sentier, pour lequel il faut compter deux heures de marche du port jusqu'à la crique de Sai Wan, est une vraie merveille, surtout en fin de journée, dans la lumière du soleil qui décline. L'on traverse des paysages de toute beauté avec vue sur la mer, de petites forêts, des temples dédiés à Tin Hau, un autre dieu de la mer! On peut y voir le Yee Pavillon dédié au poète chinois Zang Renshi, le paisible cimetière communal tourné vers la chine du sud que l'on aperçoit au loin, le Care Village, un groupe de maisonnettes construites en 1968 grâce à un don américain (!), la grotte de Cheung Po Tsai, célèbre pirate dont on dit qu'il y cacha ses trésors volés au début du 19ème siècle. Au sud, le sentier devient rocailleux, et le bord de mer ourlé d'impressionnants blocs de roche sculptés par le vent, ce qui explique que les gens de l'île l'appellent la "mini grande muraille"!
Arrivée à Sai Wan, j'ai pris un sampan pour me ramener rapidement au port, histoire d'avoir le temps quand même avant de partir, de m'attabler à l'un de ces restaurants de poisson si sympathiques qui bordent le quai pour y déguster poulpes et méduses séchées.
C'est par cette belle escapade que s'achève mon séjour d'un mois à Hong Kong; J'ai beaucoup apprécié la tranquillité et l'authenticité de Cheung Chau, si proche et si lointaine à la fois de la fascinante mais trépidante mégalopole qu'est le centre de Hong Kong.
Cheung Chau recèle à elle seule la plupart des "ingrédients" de la culture hongkongaise.
Il faut cependant se dépêcher d'y aller, car ce petit coin de paradis, de plus en plus recherché, risque bien dans peu de temps d'être à tout jamais "perdu" …
Martine Bachelier.