6 - 5: Bali ..... Ange ou démon?
Au moment de quitter Bali, où je viens de passer 15 jours, je suis dans une grande perplexité....que faut- t-il en penser?
Cette ile paradisiaque doit -t-elle inspirer la crainte ou l'envie?
J'ai ressenti Bali comme un lieu à part, unique en son genre, et à ce titre cette ile mérite qu'on s'y attarde un peu...
C'est une ile magnifique, par la richesse et la variété de sa végétation abondante et luxuriante dans un cadre exceptionnel qui allie mer et montagne, forêt équatoriale et volcans aux pentes arides couvertes de lave .... plages de sable doré ou noir, bananiers et palmiers de toutes espèces le long des routes et les rizières en terrasse ... bref, on n'en fini pas d'être ébloui par cette nature généreuse.
C'est ensuite son peuple, car il s'agit vraiment d'un « peuple » très particulier, qui donne l'impression d'avoir élaboré sa culture singulière sans interférence extérieure. Mais ce n'est qu'une impression, car la culture balinaise est un véritable puzzle qu'il serait très compliqué de reconstituer ici.
Je n'ai jamais rencontré dans dans d' autres lieux des gens aussi raffinés – surtout ici à Candi Dasa à l'Est de l'ile - dans leur comportement, leurs attitudes physiques, leur égard par rapport à autrui, leur gentillesse, leur beauté aussi, en particulier celle des femmes, minces, très élégantes dans leur longues jupes de batik et leur vestes brodées de dentelle transparente, qui nous sourient tout le temps et prennent des fou-rires incroyables entre elles, vous font mille courbettes pour vous servir et être attentives au moindre de vos désirs de touriste, et qui, les mains jointes vous souhaite à chaque plat : « enjoy your meal ! ».
Les tables sont ornées de fleurs, souvent des hibiscus, qui flottent dans de petites coupes remplies d'eau. Même chose dans les chambres, les salles de bain, devant votre porte... L'art de la décoration est sans limite, les soins de massage d'une douceur extrême et parfumée ...
Une autre expérience intéressante m'est arrivée hier soir : j'avais très mal à une oreille depuis 3jours, mal de tête... bref pas bien du tout, et j'avais fait venir un médecin à l'hôtel le matin, laquelle m'a donné un traitement : antibiotiques, anti inflammatoires etc...3heures plus plus tard, je décide me mettre quand même le nez dehors, et vais m'étendre sur une chaise longue au bord de la plage, complètement naze ... un indonésien d'une quarantaine d'année au teint très foncé, ridé, un bon sourire édenté sur ce qui lui restait de dents jaunâtres , passe et me demande comme toujours « How are you today? ». J'avais vraiment, mais alors vraiment, envie de rester tranquille, et lui répond : Je suis malade!
-Vous us avez mal où?
-A l'oreille !
-Laquelle?
-Gauche !!
Alors il s'approche de moi, et sans rien me demander, commence à me regarder et à me masser le tour de l'oreille, en descendant vers le cou, je le laisse faire car ça me fait plutôt du bien, et le massage continue dans les doigts, les bras, les pieds.... il remonte ensuite à l'oreille, au cou et aux épaules... bref, cela dure une heure et je me sens bien. Il me dit qu'il pratique une technique de « réflexologie » ... il m'explique qu'il m'a décoincé des vaisseaux dans le cou, qui empêchait les écoulements de se faire normalement dans l'oreille, et qu'il a fait descendre tout ça jusque dans les mains et dans les pieds!
Eh bien je peux vous dire qu'à la fin de ce massage, je n'avais plus mal du tout!!! et que depuis, je n'ai plus mal!! J'étais sidérée...
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Bien sûr, je continue de prendre mes médicaments, même si cet homme m'a beaucoup impressionnée : deux précautions valent mieux qu'une!!
Cela fait partie de la culture balinaise, et est aussi un bon exemple de la fascination que ces gens peuvent exercer sur nous. Vous imaginez le tableau : j'étais sur la plage sous les palmiers, face à une mer déchaînée, entrain de ma faire masser par les mains plus ou moins crasseuses d'un type que je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam, auquel je n'avais rien demandé .... une scène absolument ésotérique et déconcertante et complètement irréelle!
La religion hindouiste et la spiritualité sont omniprésentes, les prières et les offrandes, domestiques et collectives se font tous les jours, voire plusieurs fois par jour, partout, dans les maisons, les boutiques, sur les trottoirs, au coin des rues ...Alors que je suis en ce moment entrain d'écrire cet article en attendant le taxi, une jeune femme vient me déposer une offrande mon bureau – ces petits paniers qui sont le symbole de Bali - pour que la suite de mon voyage se passe bien !!!
Je me souviens de la « forêt des singes » à Ubud, où nous sommes allés avec David, de cette femme, qui faisait des offrandes, en déposant par terre ces petits paniers garnis de fleurs, de morceaux de fruits et d'encens : au fur et à mesure les singes bien évidemment venaient tout mettre en vrac.... et elle, imperturbable, continuait, et les paniers disparaissaient aussi vite qu'ils étaient arrivés !
Mon guide me disait encore hier que chaque matin, il allait prier dans son « temple de la maison » et faire une offrande au dieu Snag Hyang Widhi Wasa ( selon le principe divin unitaire , Wasa étant la somme et la source de tous les autres dieux et déesses inférieurs )
et puis une fois par semaine aux temples du village, et encore une fois par an ( tous les 210 jours exactement ) avec toute la communauté du village il allait fêter l'anniversaire du temple ... et comme je l'interrogeais sur le sens de tout ça, il m'a répondu que cela lui permettait de monter dans la hiérarchie de ses ancêtres, et se rapprocher des dieux, lui qui appartenait à la caste inférieure (à Bali il y a 4 castes qui ne parlent pas la même langue ! La langue de le caste supérieure est complètement incompréhensible pour quelqu'un de la caste inférieure! Mais cela va vite disparaitre car maintenant tous les enfants scolarisés apprennent tous la langue de la classe supérieure ). Cela fait partie de la notion de hiérarchie qui est une réalité bien ancrée et acceptée dans la vie de tous les jours...
Quand on débarque en touriste occidental, on a vraiment l'impression que les Balinais consacrent une très grande partie de temps à la prière et aux offrandes. Tant de spiritualité nous nous surprend et nous interroge ...
Bref, paysages, gentillesse et raffinement de ses habitants, spiritualité bien réelle et authentique, Bali semble être un paradis terrestre.
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Et puis, quand on sort de son hôtel et de la ville « côté touriste » ,que l'on bavarde un peu avec les gens, que l'on se perd dans les ruelles délabrées des habitants, on se prend une claque en pleine figure!
Non parce que tout cela n'est pas réel et très profond , mais parce que Bali ce n'est pas seulement cela, et que le contraste est trop flagrant pour que l'on ne s'interroge pas.
Bali , c'est la pauvreté ( salaire moyen d'un ouvrier comme il y en a tant : 85 dollars US par mois – pas d'indemnité chômage- pas de législation en ce qui concerne le temps de travail, les gens travaillent autant qu'ils peuvent, souvent 8 jours par semaine, je suis allée visiter une usine de fabrication de bijoux en argent un dimanche... il faut voir les conditions de travail des 8 ouvrières qui étaient là - photo) , voire la misère, des bicoques sales et branquignolantes, des rues défoncées qui sont de vraies décharges où les chiens viennent fouiner pour ne pas crever de faim ( « parce qu'on a rien à leur donner à manger » : sic ).
C'est aussi des enfants qui sont scolarisés quand on peut ( pourtant la scolarité est obligatoire mais tout le monde s'en fou ) et qui déambulent dans les ruelles, au milieu de tas d'adultes qui sont assis par terre en fakir, à jouer aux échecs ou à rien faire ... attendre que « ça passe » et que l'heure de la prière sonne ...
La grande affaire c'est de harponner le chaland, le touriste, avec une insistance déconcertante qui porte souvent ses fruits! pour lui proposer tout et n'importe quoi. Ils n'ont pas assez à manger, ils sont réduits à aller « dans la jungle » ramasser les fruits sauvages qui abondent ( coco, bananes, mangues, etc...), à pêcher pour rapporter les poissons à la maison, pour les faire cuire sur des pierres chauffées au feu d'écorce de noix de coco ... ensuite ils viennent nous servir à l'hôtel sur des plateaux d'argent, et jettent tout ce qui reste dans les assiettes ....
Depuis 2 jours, un homme assez jeune ( Madey ) me sollicitait non loin de la piscine ( il y est manifestement autorisé ) pour aller faire un tour en bateau, les fameux petits catamarans très colorés et plein de charme ( tout droit hérités des pirogues à balanciers de leurs ancêtres) –Je n'avais pas envie : il pleut beaucoup en ce moment et aujourd'hui je n'étais pas très en forme sous le ciel vraiment menaçant . Il a tellement insisté, que j'ai fini par céder. Il m'a emmenée à 2 pas de l'hôtel. Là, j'ai découvert la petite cahute au toit recouvert de tiges de « cocotiers – plames noires » ( eh oui ça existe !) où s'entassait une bonne vingtaine d'enfants et d'adultes, tous probablement de sa famille, dont 3 d'entre eux se sont précipités pour l'aider à mettre le catamaran à l'eau, en portant les flotteurs en bambou sur leurs épaules. C'est manifestement très lourd, et il doivent se défoncer les épaules à chaque fois.
Il m'a expliqué qu'il avait acheté ce catamaran à crédit sur 20 ans, pour 12 millions de roupies indonésiennes ( environ 1000 euros) qu'il était très loin d'avoir fini de payer, que c'était son seul bien, que sa maison, il l'avait construite lui-même, qu'il avait une femme et trois enfants ( 2 petites filles et un bébé garçon , ouf! Ce sont les garçons qui prennent soin de leurs parents âgés ).
Il m'a proposé « d'aller dans sa maison voir son bébé » , ce que j'ai refusé car j'en serais sortie sans doute encore, le cœur meurtri ...en laissant un paquet de sous ( on « arrose » beaucoup ici ), ce dont je n'aurais pas été particulièrement fière ...
J'ai admiré l' habileté à diriger son petit bateau ( nous étions 3, lui son frère et moi ) une seule grande voile déchirée, la pointe en bas, qui pivote par l'avant , et le mât qu'il déboite de son socle, pour le faire tomber contre la baume : ils les attachent ensemble d'un bout à l'autre du bateau, qui devient une espèce de barque, et on rentre au moteur.
Je suis retournée à la « hûte» plus tard, et j'ai compris que tout ces gens étaient de la même famille, et qu'ils partageaient les revenus du catamaran ! ( 25 euros les 2 heures ).
Et puis enfin, il y a la politique : les élections approchent, je n'ai jamais vu un tel épandage de drapeaux, d'affiches etc... qui enlaidissent considérablement le paysage.
Et pourtant, quand je les interroge, les gens me disent qu'ils n'y prêtent aucune attention, qu'ils ne vont même pas voter, qu'ils s'en fiche, que les promesses disparaissent comme elles sont venues, que c'est une guerre des chefs, et qu'en réalité, seule la corruption règne dans le pays.
La corruption, on me l'a dit maintes fois, est partout.
Et pourtant je pense que seule la reprise en main de ce pays par des gens intègres et désintéressés, pourrait changer les choses, et donner un peu de richesse et de repos aux plus pauvres. On en est loin apparemment, si j'en juge par la campagne électorale en cours!
Een conclusion, je me demande, si finalement, la « religion » n'est pas le cache-misère indispensable pour faire tenir le système en place. Si cette spiritualité débordante, n'est pas ce qui permet d'occulter les véritables problèmes, en servant d'hypnotique à la population « basique » et totalement résignée, qui ne croit et ne pense qu'à ça, y passe tout son temps de libre, persuadée qu'ainsi, elle atteindra le paradis .... dans un autre monde.
Voilà l'interrogation que je me pose en quittant Bali, (pour le peu que j'ai pu en observer en 15 jours seulement), l'art et la spiritualité au secours de la misère ? Bali :ange ou démon ?
Ou encore pour reprendre la très jolie expression de Yasmina Khadra : « Ce que le jour doit à la nuit ».
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Mais mon séjour à Bali s'est terminé sur une note optimiste et joyeuse, dans un bon restaurant de Candi Dasa, où j'ai été invitée par un couple d'américains charmants Bill et Adina ( de Seattle dans l'Etat de Washington - photo), avec lesquels nous avons beaucoup discuté de ces questions, et qui allaient je dois dire, dans le même sens que moi. Nous avons échangé nos adresses et promis de nous revoir .
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