Voyager en solo
« Heureux qui comme Ulysse a fait un long voyage » ?
Tout juste trois mois que je suis rentrée. Il faut un peu de temps pour « digérer » le voyage et le retour : attendre que le temps des retrouvailles enflammées soit passé, que les émotions soient retombées, que la vie « normale » ait repris son cours.
Alors le temps de la réflexion s’installe et celui de l’écriture peut pointer le bout de son nez...
On m’a souvent questionnée sur le choix que j’avais fait de partir seule pour un si long voyage, et demandé d’en tirer par écrit les conclusions.
Pour être honnête, j’y suis d’abord allée un peu à reculons, par pudeur sans doute, par une inclinaison naturelle à ne pas livrer les réflexions que continuent à susciter en moi l'expérience intime d'un long voyage en solo.
Et puis j’y ai trouvé un véritable intérêt, en découvrant par ce biais une nouvelle façon de revivre, calmement, mon voyage. Faire le point, c’est intéressant non seulement pour les autres, mais pour soi-même aussi ! Je me suis aperçue enfin, après avoir discuté avec de nombreux voyageurs au long cours, que notre parcours et nos points de vue convergeaient largement, et que donc je n’allais rien inventer.
Que, si je n'allais certes rien inventer, je pouvais espérer, en toute modestie, que mon récit aurait un jour, qui sait, valeur d'utile témoignage pour de futurs voyageurs. J’aurais d'ailleurs bien aimé trouver moi-même ce genre d’article, avant de partir. Alors ...
C’est ainsi que je me suis décidée à écrire et livrer mes réflexions. Tant mieux si je peux répondre aux interrogations de ceux qui hésitent encore ... Le voyage, c’est aussi le partage.
Je sais que je dois essayer de faire la part des choses, en évitant les jugements hâtifs, péremptoires ou définitifs (du style : Ah c’était absolument merveilleux, Tout le monde il est beau tout le monde il est gentil ...).
Chacun a sa propre expérience, et toutes sont différentes. On ne peut parler que de ce que l’on a vécu soi-même, le plus honnêtement possible, en se souvenant des belles choses mais aussi des moments de doute. Savoir enfin que si on « adhère » immédiatement à certains pays (l’Argentine, le Chili, Bali...) d’autres ne s’appréhendent bien et ne s’apprécient qu’avec le temps (l'Inde).
Pourquoi voyager seule ?
J’avais déjà abordé cette question dans mon article sur « les préparatifs », écrit avant de partir. Je n’étais alors pas totalement sûre de moi...
J’avais une grande envie de partance, d’errance même, de lointain, de découverte et d’aventure (envie qui remonte sans doute à l’enfance : ma mère voyageait déjà toute seule). Cette envie, je voulais la satisfaire avant qu’il ne soit trop tard et réaliser mon « Rêve de tour du monde », dussé-je partir seule si nécessaire.
Je n’ai pas voulu partir seule. Je suis partie seule car je n’avais pas le choix : Gilles ne pouvait s’arrêter de travailler, les amies qui auraient eu envie de m’accompagner (pas si nombreuses !) avaient toutes des empêchements, moi je n’en avais aucun dans les mois à venir : plus d’enfants à la maison, plus de parents, plus de travail... Partir avec une inconnue trouvée sur internet ? Cela m’avait été fortement déconseillé et après une petite recherche par voie d’annonce dans la revue « Globe-trotteurs » - d’ailleurs infructueuse - j’en avais vite écarté l’hypothèse. A la réflexion, je pense qu’effectivement c’était une mauvaise idée : partir avec quelqu’un que l’on ne connaît pas ou peu, c’est courir un grand risque d’échec en s’imposant des contraintes qui s’avèrent souvent impossibles à surmonter.
Ce n’était pas un « défi » que je me serais lancé à moi-même : je savais que j’étais capable de faire ce voyage sans problème majeur, du moins en théorie.
Pas une « fuite » sur un coup de tête non plus : encore une fois, juste une terrible envie de vivre une aventure rêvée depuis longtemps, envie de me laisser porter pendant quelques mois, juste quelques mois, par d’autres péripéties que celles de ma vie quotidienne, ça oui !...
Je suis donc partie seule car c’était pour moi le moment idéal pour partir sans culpabiliser, avec le soutien enthousiaste de mes enfants et de Gilles (lui, un peu plus inquiet toutefois ...). Cela me semble important pour la suite : savoir pourquoi on part et partir en paix avec soi-même et les autres.
Quand il a été clair que j’allais partir seule, et que je l’ai accepté, je dois reconnaître que j’en ai été ravie, et que j’ai commencé à anticiper le goût suave de la « liberté ». Je me suis même dit : « chouette ! Je vais partir toute seule ! » Une vraie gamine !
Les règles incontournables du voyage en solo :
Certains diront sûrement qu’il n’y a pas de règles particulières pour voyager seul. Ce n’est pas mon avis.
Tout dépend bien sûr du contexte dans lequel on part : l’habitude du voyage, le choix des pays, l’organisation, l’âge, le caractère et l’état d’esprit dans lequel on part.
En ce qui me concerne, ayant déjà beaucoup voyagé, j’avais envisagé mon escapade avec une certaine décontraction. Mais seule, si loin, si longtemps, c’était la première fois !
Mon voyage a certainement été facilité aussi compte tenu de mon âge, de mes cheveux que j’avais délibérément laissé blanchir, de ma tenue vestimentaire des plus basiques ! Tout cela compte pour imposer un certain « respect » que j’ai effectivement ressenti et qui tend à rassurer les femmes seules ...
Le fait d’être une femme ne m’a par ailleurs, absolument pas gênée.
Peut-être même avantagé : on vient plus facilement et plus spontanément en aide à une femme qu’à un homme.
Je n’ai été importunée que deux fois. Une première fois dans la rue, par des gamins à Bombay : je les ai vite envoyés promener et ils n’ont pas insisté. Puis en Inde par un « faux guide », qui parlait couramment français, mais ne m’a absolument rien appris et me réclamait pourtant 5000 roupies. J’ai refusé de les lui donner : il se met en colère, m’attrape par le T-shirt, appelle ses copains à la rescousse, éclats de voix, attroupement et tutti quanti ... je n’ai pas cédé, lui ai remis la moitié de ce qu'il me réclamait, et me suis esquivée sans problème.
Il faut bien sûr respecter un minimum de règles de prudence connues de tous : ne pas monter dans n’importe quel taxi « non officiel », ne jamais se mettre en état de dépendance, avoir toujours sur soi l’adresse de l’hôtel, éviter de faire des choses qui pourraient se révéler dangereuses comme faire du scooter ou sortir seule la nuit dans des endroits un peu « trash ». Je pensais toujours que s’il m’arrivait un pépin, étant seule, ce serait plus difficile, et que le voyage risquait d’être complètement gâché. J’ai donc joué la prudence. Et c’est vrai, j’avais toujours mon opinel sur moi ... lequel m'a surtout servi à éplucher mes pommes !
Respecter aussi les mœurs des pays, notamment sur le plan des habitudes vestimentaires, pour ne pas se faire remarquer. Pour l’Inde, je m’étais munie d’une robe achetée au grand marché de Bangkok. Je ne l’ai mise qu’une seule fois ! J’étais toujours en bermuda ... bien loin du sari ! Un jour que je demandais à Rama – le chauffeur - ce qu’il pensait de ma tenue, il m’a regardée en souriant et il m’a répondu : « It’s ok, It’s your style ! ». Je crois vraiment qu’à ce niveau là les choses changent en Inde. Les indiens acceptent maintenant davantage que les occidentales gardent "leur style".
D’ailleurs, partout j’ai eu le sentiment qu’aujourd’hui les voyageuses ont l'alibi d'être avant tout « étrangères » avant d'être « femmes », et peuvent ainsi se permettre, sans susciter le mal-aise, des accoutrements que les moeurs locales auraient prohibé pour les autochtones.
En partant, j’ai abandonné la fameuse robe dans ma chambre d’hôtel ...
J’avais choisi des pays « sûrs » et « tranquilles ». L’Inde, le seul pays que je connaissais déjà, il vaut mieux il est vrai, éviter de le découvrir seule pour la première fois, ou bien savoir ce à quoi on s’expose. C’est la raison aussi pour laquelle j’ai volontairement évité l’Afrique, trop dangereuse et peut-être trop « dure » pour une femme seule.
Partir « l’esprit tranquille » comme je le disais plus haut, mais déterminée à aller jusqu’au bout, en sachant à l’avance qu’il y aura peut-être des moments difficiles.
L’envisager avant de partir rend les choses plus abordables. C’est ce qui m’est arrivé à Moorea, où j’ai vraiment compris que je ne supportais pas le complet isolement d'un bungalow. Compris que je préfère la guest house à la cabane !
Mais les idées noires qui assombrissent l’esprit certains soirs, peuvent être évacuées par le simple fait de savoir qu’ un voyageur muni d'une carte bancaire et d'une assurance convenable, peut toujours, en quelques heures d’avion, retrouver son « home sweet home » …
Enfin, le grand sujet : l’organisation. Faut-il tout organiser avant de partir ?
Là encore, il n’y a pas de règle : c’est une question de choix personnel. Les deux sont possibles, les deux ont leurs avantages et leurs inconvénients.
Le minimum me semble être le choix de l’itinéraire et l’achat des billets d’avion avant de partir. Avec la possibilité de moduler les dates (ce que je n’ai jamais fait). Pour le reste ... j’ai opté pour un voyage plutôt « organisé » pour gagner du temps et éviter la fatigue des recherches d’hôtels. Et aussi par goût : je sais que je n’aime pas déambuler seule dans les rues avec ma valise, à la recherche d’un hébergement. Retenir son hôtel à l’avance présente bien sûr un risque lorsque l’on a tout payé à l’avance. C’est ainsi que j’ai perdu 2 réservations : l’une au Chili (l’hôtel ne me convenait pas du tout, je ne m’y sentais pas bien) et l’autre sur l’île de Moorea – l’Atuana Lodge - où rien n’allait. Les propriétaires n’ont pas voulu me rembourser.
Lorsqu’on réserve à l’avance, on est tenu par le temps : impossible de prolonger un séjour dans un endroit plaisant. C’est vrai. Mais puisque j'avais prévu en fonction de la durée du voyage –-5 mois ce n'est pas très long pour 11 pays--, il fallait bien avancer ... Pour un voyage plus long, d’une année par exemple, je pense que cela peut être différent.
En outre réserver son hébergement, lorsqu’on souhaite un minimum de confort, c’est important, car les hébergements un peu « confortables » sont souvent complets. En tous cas, moi je n’ai pas regretté.
La réservation à l’avance de « circuits » permet de gagner un peu de temps, mais il est cependant très simple de le faire sur place.
Bref, le fait d’avoir prévu et réservé beaucoup de choses à l’avance, franchement, ne m’a pas gênée : je n’ai jamais eu l’impression de manquer de liberté.
En Inde, le voyage en voiture avec chauffeur m’apparaît être la meilleure alternative lorsqu’on voyage seule. J’ai rencontré tellement de jeunes touristes qui ont galéré dans les trains et se sont fait voler leur sac, que je ne vois vraiment pas pourquoi je me serais privée de ce « luxe » qui reste en Inde, très courant et très abordable. Il faut faire attention à un certain « snobisme » du « voyageur branché » qui cherche la difficulté, alors que cela n’a pas toujours grand intérêt !
Les particularités du voyage en solo :
J'en vois essentiellement trois : la découverte de la liberté, de soi-même et des autres.
A la découverte d’une certaine forme de liberté :
La liberté, je l’ai découverte sous toutes les facettes de sa diversité lors de mon voyage.
Il n’est bien sûr pas question ici de « liberté » au sens métaphysique, mais juste d’une momentanée absence de contrainte et son corollaire, la spontanéité dans l’action :
- Voyager en solo, c’est être totalement libre, sans avis à demander à personne, sans comptes à rendre, sans planning à respecter : une nouvelle réalité concrète et vécue. Je n’ai pas ressenti le fait d’avoir un peu « organisé » mon voyage comme une entrave, au contraire je pense que cela m’a soulagé des angoisses d’itinéraires à choisir et de lieux où me poser. Et m’a fait gagner beaucoup de temps. Aussitôt arrivée, j’étais libre !
- Voyager en solo, c’est avoir à tout moment, la possibilité de faire ou de ne pas faire, d’aller au jour le jour au gré de son humeur vagabonde. J’ai adoré me laisser porter ainsi au hasard de mes pas, droit devant. ... C’est un vrai régal de pouvoir s’offrir le luxe d’aller à sa guise, seule, perdue dans ses pensées, ou dans son absence de pensées, sentir le temps se dérouler, en le laissant occuper à chaque instant tout l’espace dont nous disposons avec lui.
C’est souvent ainsi que se font de belles et inattendues découvertes : je me souviens par exemple de cette balade que je suis partie faire à pied, au bord du grand lac de Puerto Natales au Chili ... j’ai rencontré des pêcheurs qui m’ont expliqué leur « technique », un cavalier qui m’a fait monter sur la croupe de son cheval, et après deux bonnes heures de marche, j’ai découvert le petit musée de Saint Exupéry perdu au milieu de nulle part. Il était fermé, mais le gardien est venu vers moi pour m’en ouvrir la porte.
Prendre le temps aussi de s’arrêter, d’observer, de s’émerveiller ... A El Calafaté, en Argentine, j’avais fait le circuit des touristes, en bateau, au milieu des blocs de glace. C’était tellement beau que j’y suis retournée le lendemain à pied ! Je me suis assise sur un banc et je suis restée là un long moment, enchantée par la beauté presque surnaturelle de ces montagnes glacées, au contour évanescent, auréolées d’une lumière bleutée phosphorescente...
J’ai découvert que la liberté, ce n’était pas une vague idée, mais que cela pouvait être une réalité concrète et ressentie de façon encore plus jouissive peut-être, quand on est seul.
A la découverte de soi :
C’est vrai que l’on apprend beaucoup sur soi-même en voyageant seul : « Rien ne développe l’intelligence comme les voyages » (Emile Zola)
-Epurer sa vie :
Je me suis découvert – ce fut plutôt une confirmation en réalité ! – un véritable penchant pour la simplicité... Vivre avec très peu de choses, au milieu de ces populations souvent démunies, me convenait très bien.
Je suis partie avec une valise de 20 kg, plus un petit sac à dos. Beaucoup trop encore. En route je me suis constamment allégée, pour finir avec 15kg : je me suis séparée sans état d’âme, de tout un tas de choses et de vêtements inutiles. Ceux que je j'ai gardés, je les lavais le soir pour les remttre le lendemain.
Je dînais très simple, souvent dans ma chambre, ou dans la rue. Mais je sais que je ne suis pas portée sur la nourriture ... j’ai pourtant essayé de faire des efforts : j’ai même pris un cours de cuisine au Laos : je dois dire honteusement que je ne me souviens même plus de ce que j’ai préparé ... Mais je garde précieusement mon « diplôme de cuisinière » !
Bref, le voyage en solo, peut être l’occasion de faire « un grand nettoyage », en « épurant sa vie » de tout un tas de contraintes matérielles qui relèvent plus du fétichisme que de l’utile. La vie s’en trouve facilitée. On se sent plus léger dans ses valises comme dans sa tête, c’est reposant.
C’est sans doute la raison pour laquelle, je n’ai rien « rapporté » ou presque : quelques tout petits souvenirs pour les enfants seulement, absolument rien pour moi. Je trouve que tous ces objets que l’on rapporte de voyage, n’ont pas vraiment leur place chez nous, grands consommateurs du monde occidental. Sortis de leur contexte, ils perdent de leur signification ... et finissent par encombrer plus qu’autre chose ! Les plus beaux souvenirs, c’est dans la tête qu’ils ont leur place.
- Connaître ses limites :
Voyager en solo, c’est aussi et surtout bien sûr mettre à l’épreuve ses facultés d’adaptation et mieux connaître ses limites. Quand elles sont mises à l’épreuve, c’est l’envers du décor : « Le vrai caractère perce toujours dans les grandes circonstances » (N. Bonaparte).
-Il y a d’abord la confrontation avec la solitude. Car la liberté n’est pas exempte du sentiment de solitude.
Même si l’on se « greffe » sur certains tours et circuits, même si l’on n’est jamais seule très longtemps, même si l’indépendance est un vrai plaisir, la solitude, elle, peut devenir source d’angoisse.
C’est dans ces conditions que j’ai beaucoup apprécié mon ordinateur de voyage, véritable lien avec le pays et tous ceux qui me sont chers. Je regardais avec bonheur les vidéos – tellement drôles - que les enfants m’avaient fait parvenir pour Noël. J’écoutais les chansons qu’ils avaient enregistrées pour moi – sur le thème du voyage ! – Quel plaisir que d’écouter Bénabar ou Jacques Brel à l’autre bout du monde ! Je refaisais ainsi le plein d’énergie pour quelques temps.
C’est au cours de repas dans les « grands » restaurants que j’ai le plus ressenti l’isolement : rien de plus glauque que d’être seule à une table, entourée de gens souvent riches et coincés, qui ne prêtent attention à personne, ou de couples en voyage de noces qui vivent dans « leur » monde... J’ai vite déserté les restaurants pour les petites gargotes bien plus conviviales et sympathiques.
- Quand on est seule, la fatigue, le manque de sommeil, l’isolement conjugués, peuvent provoquer peur incontrôlée et panique... et un bon coup de cafard. Cela m’est arrivée une fois, comble de l’ironie : en Polynésie française ! N’étant pas sujette à ce genre de réaction, je ne m’y attendais pas du tout à ce moment là. Et cela a sans doute aggravé les choses. Il faut alors faire face, d’où l’importance de vrais moments de repos dans des hôtels confortables : on peut s’y ressourcer et repartir d’un bon pied... même si on s’y ennuie un peu. Ne pas hésiter !
- Il est sans doute plus difficile aussi, quand on est seule, « d’encaisser » ce à quoi l’on échappe pas dans certains pays : la grande misère, la saleté indescriptible, les bidonvilles, le sordide, les cloaques immondes où se traînent de pauvres erres, sont à la limite du supportable, et un certain « raz le bol » peut s’installer. Il faut alors à mon sens, se protéger : soit par la fuite (se réfugier à l’hôtel et prendre un bon bouquin :), soit par la réflexion (avons-nous le droit de porter un jugement sur le mode de vie de ces populations étrangères, et d’en tirer des conclusions sur leur bien-être et leur bonheur ? ne devons-nous pas regarder le monde avec distance et éviter de culpabiliser?)
- Ressentir l'absence de partage :
Enfin et surtout, voyager en solo, c’est l’absence du partage « vécu », ce partage qu’Internet ne remplacera jamais, pas plus que les photos, ou le récit de souvenirs. Ce vide que la saveur de la liberté ne gomme pas, et qui peut, au bout d’un certain temps, devenir difficile à vivre. Comme un manque qui s’installe et terni le bonheur de la découverte.
Ce partage, j’ai eu la chance de le vivre par petits bouts : des « miettes de partage » mais tellement importantes ! Quand « ILS » sont venus me rejoindre.
Ce fut d’abord David à Bali. Je l’attendais dans le hall de mon hôtel de Kuta, le jour de notre départ programmé pour Ubud. J’avais décidé, pour calmer l’attente, de travailler sur mon ordinateur lorsque j’ai reconnu le son de sa voix. Quel bonheur!
Effusion d’émotion incontrôlée sous les yeux du « guide/chauffeur » ébahi !
Ce fut Pierre, quelques semaines plus tard, au Laos. J’étais allée le chercher au minuscule aéroport de Siem Reap, avec le taxi de l’hôtel. Il venait de faire un très très long voyage. Après quelques minutes d’attente angoissée, je l’ai enfin aperçu à travers la vitre teintée de petite salle d’embarquement. En contre-jour, je ne distinguais que sa silhouette et sa chevelure, mais c’était bien lui !! Là aussi, embrassades et émotion ...
Et puis ce fut Gilles à Pondichéry. Il y était arrivé avant moi, après un voyage terriblement long, avec changement de vol, transit, attentes interminables ... et le retrouver là, profondément endormi sur le lit en plein milieu de la journée, tout habillé, chaussures aux pieds... je me suis demandé si ce n’était pas un rêve tant la situation était insolite.
J’attendais leurs venues avec impatience, comme une récompense, je comptais les jours ...et ils sont arrivés « au bout du monde », à l’endroit précis où je me trouvais : un cadeau venu du ciel... et des promesses de découvertes partagées avec eux pendant quelques jours.
Ces rencontres lointaines avec les êtres les plus chers, resteront les moments de plus intense émotion de tout mon voyage. Une émotion où le bonheur s’exhibe en silence, où les larmes contenues se cachent.
Je me dis que sans eux, je n’aurais peut-être pas tenu le coup jusqu’au bout.
Mais Gilles était là pour rentrer avec moi : une belle fin de voyage.
Si je raconte sans retenue cette expérience de « retrouvailles », c’est parce qu’elle m’amène à dire aujourd’hui, que si je suis heureuse d’être partie seule, de l’avoir fait une fois, je ne le referai probablement pas. En tout cas plus si longtemps. Le partage avec des êtres chers me manque trop.
A la découverte des autres :
J’ai envie de dire que c’est le grand « plus » du voyage en solo, ce qui rétablit l’équilibre avec l’absence de partage.
Le fait d’être seule et disponible, provoque forcément plus de rencontres que lorsqu’on voyage à deux ou à plusieurs.
Ces rencontres sont fréquentes, presque quotidiennes, pour 5 minutes, une heure ou une journée. Elles prennent toutes les formes : inattendues, spontanées ou provoquées, mais elles sont toujours précieuses, riches, essentielles. Elles constitueront pour toujours la toile de fond des souvenirs du voyage, la richesse émotionnelle de l’errance. Sans ces échanges humains, le voyage solitaire n’aurait pas de sens.
Inattendues et spontanées, elles sont le fruit du hasard : J’ai fait ma toute première « rencontre » le premier jour, durant mon escale de 5 heures à Madrid. J’avais eu au départ de Nantes des problèmes d’embarquement avec mes billets électroniques. Il me fallait vite résoudre ce problème. Je suis donc allée dans l’espace réservé aux ordinateurs, pour essayer d’imprimer mes" reçus de billets électroniques". C’était compliqué ... Une jeune femme est spontanément venue m’aider et tout s’est bien passé. Elle travaillait dans une organisation humanitaire, en charge d’Haïti, un des pays les plus pauvres du monde. Nous avons déjeuné et passé deux bonnes heures ensemble en attendant nos avions respectifs. Elle m’a raconté sa vie là-bas ... et sa lassitude.
Et puis il y eu Martin, un allemand rencontré à Buenos-Aires qui « attendait sa moto ». Nous avons passé une semaine dans le même petit guest-house et sommes partis plusieurs fois ensemble à la découverte de la ville. La même semaine, c’est ce jeune banquier, très classe, rencontré à la gare, qui m’a aidée à prendre mon billet électronique de train de banlieue. Là encore, nous sommes montés dans le même train, avons papoté tout le long du chemin et il m’a donné le numéro de téléphone de sa famille, au cas où ... et puis..., et puis ...il en fut de même jusqu’à la fin du voyage, jusqu’au dernier jour, lorsqu’ Emmanuel et Marie, un couple d’indiens rencontrés à Bangkok, sont venus me dire au revoir et m’ont offert ... une parure de draps !
Mais c’est à « Corinne de Tahiti » que je pense le plus, pour l’aide qu’elle m’a apportée. Le voyage, c’est aussi cela : l’entraide.
Ces rencontres peuvent être aussi un peu « provoquées » : c’est le cas des « contacts », des connaissances directes ou indirectes que j’avais dans tous les pays traversés, mais que je n’ai pas tous rencontrés.
Il y a enfin les rencontres avec les guides, les chauffeurs, les autres touristes dans les petits restaurants ... Lorsqu’on est seul on est plus vite abordé et plus réceptif à l’échange. Et puis, on se rend compte aussi combien les gens sont avenants et généreux envers les étrangers, surtout en Asie. Les asiatiques ont le coeur sur la main ... et la main n'est souvent pas assez grande...
Lorsque Gilles est arrivé, nous étions deux dans la voiture, et l’attitude de Rama a complètement changé : plus un mot ... j’en étais toute triste.
Toutes ces rencontres de passage sont éphémères, mais peu importe : dans ce type de voyage, on se sent juste de passage, c’est la richesse de l’instant présent qui compte.
Le retour :
Mon retour n’a pas été difficile : d’abord Gilles était avec moi, et ce morceau de voyage à travers l'Inde, en sa compagnie, fut comme une bienfaitrice « étape intermédiaire », avant de retrouver avec bonheur tous les miens et ma vie française.
Sans doute 5 mois est-ce insuffisant pour qu’une véritable rupture avec la vie quotidienne s’établisse : j’ai pu ainsi rentrer sans subir le « traumatisme » que certains disent éprouver à leur retour ... et qui les pousse parfois à repartir aussitôt !
Je me souviens pourtant avoir craint un peu la « réadaptation » et voulu éviter de m’arrêter à Paris : envie de me « cacher » chez moi très vite... de garder la tête encore un peu dans les nuages, de calmer le coeur qui bat la chamade. Mais il a quand même battu fort sur le quai de la gare de Nantes où une une joyeuse équipée m'attendait : "Martine is back ..." et voilà, cette fois, c'était bien fini!
Cependant, si « les voyages qui forment la jeunesse » ne sont plus de mise en ce qui me concerne, j’ai tout de même le sentiment très palpable de n’être plus tout à fait la même : à tout âge un voyage est une petite "re-naissance".
Je me suis définitivement allégée du carcan des convenances, du poids du futile et de l’inutile.
Envie d’aller à l’essentiel.
Ressenti aussi d'une véritable aversion pour tout ce qui est routine, habitude, carcan du quotidien.
Envie de changement, de simplicité, d’authenticité.
Envie de fuir la sur-consommation démentielle de nos sociétés occidentales, ce qui se traduit pour l’instant dans ma vie quotidienne, par de toutes petites choses : j’ai spontanément moins « d’envies en tous genres » qu’auparavant, et prends plus le temps de lire, d'écouter, de partager..., bref plus envie de créer que de consommer .... Des broutilles sans doute, avant d’aller, je l'espère, plus au fond des choses.
Envie de repartir, enfin, pour mieux comprendre le monde et "voyager autrement".
Car finalement, voyager, même seule, même loin, ce n'est pas pas si difficile que ça...
Martine,
Le 17 juillet 2009.
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